Soutenir l'allaitement dans son entrepriseJe suis très heureuse de vous présenter aujourd’hui l’interview de Mélanie qui a décidé de soutenir l’allaitement dans son entreprise et mettre en place un dispositif de soutien à l’allaitement sur son lieu de travail.

– Vous avez mis en place un dispositif pour permettre aux femmes de votre administration de tirer leur lait. Pouvez-vous nous le décrire ?

Je travaille dans un ministère. A l’heure actuelle, sur notre site, nous pouvons utiliser la salle de repos attenante à l’infirmerie. Toutefois, cela n’est pas idéal car la salle est fréquemment occupée et nous ne pouvons pas préserver notre intimité. Par ailleurs, nous devons amener notre propre tire-lait, ce qui signifie le louer en pharmacie ou l’acheter pour certains modèles.

Nous avons donc eu l’idée de créer une association, pour notre site de travail. L’objectif principal est d’obtenir une pièce équipée d’un tire-lait. Nous souhaitons, par ce biais, favoriser l’allaitement maternel de nos collègues, en diffusant des informations et en organisant des échanges entre les femmes enceintes, les jeunes mères et celles qui sont plus aguerries.

Nous considérons par ailleurs que l’ensemble de la communauté de travail bénéficie d’une telle démarche : retour après congés de maternité plus sereins, meilleure ambiance, et probablement moins d’arrêts de travail.

– Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur ce sujet ?

Fille de pédiatre, j’ai toujours été persuadée du bien fondé de l’allaitement maternel. Or, le congé de maternité en France est beaucoup trop court par rapport à l’allaitement. Je pense qu’il faut au moins deux mois pour être bien calée avec son enfant alors, arrêter l’allaitement après tant d’efforts deux semaines plus tard me semble absurde. Il faut militer pour que le congé de maternité soit allongé. Cependant, tant que ce n’est pas le cas, il faut bien trouver un compromis. Heureusement, il existe d’excellents tire-lait qui permettent de vivre ce compromis dans de très bonnes conditions. Et malheureusement, beaucoup d’amies ou de collègues considèrent que tirer son lait est douloureux, dégradant, impossible avec les horaires imposés du travail, les réunions, les déplacements etc etc. Il existe mille raisons qui font que les mères se persuadent qu’à leur retour au travail, leur allaitement sera terminé Il y a même des mères qui refusent carrément d’allaiter à la naissance, parce qu’elles savent que deux mois et demi après ce sera terminé ! Je trouve ça vraiment dommage, même si je comprends.

Je constate aussi que le sujet est un peu difficile à aborder avec les collègues dire à son chef : « attendez-moi une demi-heure, j’ai « vous-savez-quoi » à faire » peut sembler un peu ridicule. Les collègues qui ne connaissent pas se demandent ce qui se passe on sait qu’allaiter donne beaucoup de plaisir, alors il peut y avoir certains fantasmes ou certaines rancÅ“urs, voire une dévalorisation On entend aussi des critiques du type « essaie un peu de lâcher ton enfant », comme si en souhaitant allaiter son enfant au-delà de trois mois relevait de la pathologie. Il convient d’expliciter au mieux cet « autre travail » que nous faisons de façon isolée, d’en expliquer les raisons en particulier le rôle de l’allaitement dans la prévention des maladies, de lever le tabou qui fait dire « vous-savez-quoi » et de toujours, à chaque expression du lait, se sentir soi-même très valeureuse. La meilleure façon d’y arriver, c’est en se soutenant mutuellement ! J’ai bien vu la différence, entre mon premier allaitement au travail, où je tirais mon lait, en cachette, aux toilettes et mon second allaitement au travail, avec le soutien de mes collègues, leurs bonnes idées et la joie que tout ça véhicule tout simplement.

En montant ce projet sur notre lieu de travail, nous souhaitons informer notamment les femmes enceintes que « ça sera possible », qu’il n’y a pas de tabou et que nous serons là pour les encourager. A la base de la création de l’association, il y a quelques mères qui, comme moi, ont réussi à allaiter au travail le temps qu’elles voulaient et qui en sont très fières.

– Comment imaginez-vous l’évolution de ce dispositif ?

Nous souhaiterions que l’association concerne les autres sites de notre administration et organiser des ponts vers d’autres ministères, d’autres entreprises ? A bon entendeur

– Que souhaitez-vous pour l’avenir ?

Dans mes rêves je voudrais un congé de maternité plus long. Je ne sais pas quelle longueur serait optimale mais deux mois et demi en post-partum, c’est sûr, ce n’est absolument pas optimal ! C’est presque se moquer des gens, des mères en particulier, qui sacrifient leur salaire et leur retraite pour retarder un peu leur retour au travail.

Mais je souhaiterais également une vraie politique de l’allaitement au travail, avec un programme français digne de ce nom, porté par le ministère en charge de la santé. Cela comporterait l’obligation formelle (et opposable) de détenir une salle dédiée à l’allaitement et équipée convenablement dans toutes les entreprises, par exemple au-delà de cinquante salariés. Nous avons des défibrillateurs partout, même dans les trains alors, et le tire-lait ?? Il conviendrait également de promouvoir l’allaitement par des formations organisées par les entreprises, des campagnes d’affichage partout, des concours des « meilleurs initiatives en entreprise » par exemple. Parmi toutes les campagnes de prévention de l’Etat, celle-ci me semblerait peu onéreuse et surtout rentable très rapidement.

– Qu’aimeriez-vous dire aux femmes qui ont envie de faire comme vous dans leur entreprise ?

Pour ce qui est de monter une association, je pense que toutes les initiatives fédératrices sont bonnes à prendre. Nous n’avons pas assez de recul pour formuler des conseils…

Pour ce qui est d’allaiter au travail… je dirais que c’est une excellente idée !!! On sait que les enfants allaités sont moins malades Voilà , déjà , une bonne raison de le faire. Mais ce n’est absolument pas un sacrifice pour vous : il existe des tire-lait ultra performants, rapides et doux Et puis, faire cette petite escale quotidienne vous permettra de ne pas avoir la sensation d’être brutalement séparée de votre enfant. Avec un peu d’entraînement, l’expression du lait peut ne durer qu’une demi-heure par jour, c’est rien du tout par rapport au temps de pause qu’on peut s’accorder (qu’on doit s’accorder pour être efficace !). Le moment de l’expression du lait peut changer d’un jour à l’autre, à plusieurs heures près. Et puis, de toute façon, vous êtes mère, vos collègues et vos chefs le savent. Donc, assumer l’allaitement au travail ce n’est que rappeler que vous avez une autre mission dans la vie, ce qui est plutôt glorifiant et dénote une grande capacité d’organisation. D’autre part, on est souvent surpris par la réaction des gens très très bienveillants à ce sujet. Et ceux qui ne le sont pas ? Les identifier dans le cadre de l’allaitement au travail permet d’éviter des déboires dans d’autres sujets professionnels, car ça n’est pas bon signe Enfin, il y a le problème des déplacements. Quand ceux-ci sont de courte durée (un ou deux jours), il y a toujours des possibilités. Mais il faut se renseigner pour connaître l’emplacement du frigo, d’une pièce isolée, il faut aussi optimiser les trajets, prévoir le matériel adéquat etc C’est sûr que ça complique, mais la solidarité résout beaucoup de choses.

Je pense enfin que l’allaitement au travail doit être un minimum préparé, ne serait-ce que pour le tire-lait. Avoir une montée de lait avec cet appareil peut sembler insurmontable donc, mieux vaut s’entraîner. Pourquoi pas donner son lait au lactarium pendant le congé de maternité ? C’est ce que j’ai fait pour mes deux lactations, je me suis donc un peu « poussée », mais je me suis vraiment détendue avec le tire-lait parce que je n’avais pas un objectif de résultat. Et après j’avoue que la vision ou même simplement le fait de penser au tire-lait me donnait des montées de lait !!! Il est certain qu’avec le stress de la reprise, j’aurais eu beaucoup de mal dans l’étape de « découverte » de l’objet. Et puis, quand on choisit d’allaiter au travail, il faut en parler, se faire conseiller, assumer, être fière, parce que je pense qu’on le mérite. Enfin, il y a la question de la fatigue indéniable. Mais quand on a un vrai beau défi, on trouve toujours les ressources nécessaires.

A mon avis, quand on ressent la fatigue, c’est qu’on a décidé inconsciemment que l’allaitement avait assez duré. Pas de regret à avoir, chaque jour d’allaitement est un petit bonus !

Merci beaucoup Mélanie et bravo !

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